J’ai profité du beau soleil qui a régné samedi dernier sur la Champagne (et le reste de la France) pour rendre visite à Vincent et Christelle au domaine Françoise Bedel. Une maison convertie à la biodynamie et qui fut l’une des premières à sauter le pas en 1998. Installé à Crouttes-sur-Marne, dans l’Aisne, le champagne Françoise Bedel possède un vignoble de 8 hectares 40 de vignes âgées de 20 à 60 ans. Un vignoble où le pinot meunier domine, avec 78% du domaine, complété par 13% de chardonnay et 9% de pinot noir.

Une belle philosophie

C’est une maison qui a une philosophie que j’aime beaucoup, basée sur le respect du terroir et de la vigne. Sur une élaboration des cuvées en symbiose avec l’évolution du vin et le rythme des années. Ici rien n’est figé dans le marbre, l’assemblage est mouvant, une cuvée peut très bien être constituée à 100% de pinot meunier une année, et accueillir du pinot noir ou du chardonnay l’année suivante.

La maison travaille sur un style, une signature, c’est pour cela qu’elle ne s’embarrasse pas et ne se contraint pas avec des blancs de blancs, des blancs de noirs… Même chose pour le dosage qui évolue au fil des dégorgements et de l’évolution du vin.

Certaines cuvées sont déclinées en brut, extra brut ou nature, mais ces déclinaisons évoluent, disparaissent et reviennent au fil du vin. C’est la force d’un vigneron indépendant que de pouvoir faire bouger sa gamme régulièrement, contrairement à une maison.

Le champagne Ayala par exemple, propose toutes ses cuvées en version non dosée, un systématisme pas nécessairement judicieux.

L’expression du terroir

Après une visite du domaine, de la cave à la cuverie en passant par le pressoir de 3000 kg, Christelle et Vincent m’ont proposé de déguster la totalité de la gamme. Une chance que je n’ai pas laissé passer !

Nous avons débuté avec la cuvée Origin’Elle, le brut sans année de la maison, déclinée en version Brut et en version Extra Brut. Un brut élaboré à partir de vignes plantées sur des sols calcaires et limoneux.

C’est avec la version Nature que la dégustation a débuté. Une cuvée au nez rond, fruité et flatteur. C’est une cuvée qui a passé 4 à 5 ans sur lattes avant d’être proposée à la vente, ce qui explique en partie sa rondeur et ses arômes arrondis. La bouche est sur le même registre de rondeur, de souplesse et d’onctuosité, avec en arrière-plan une fraicheur bien présente.

Dans sa déclinaison brute, le vin reste sur ces grandes lignes de caractère, avec toutefois un fruité plus présent, et une tension moins palpable. J’avoue une préférence pour la version Extra Brut !

Un champagne, deux dosages

Nous avons poursuivi avec la cuvée Dis Vin Secret, là encore une cuvée déclinée en 2 dosages : Brut et Nature.

C’est avec la cuvée Nature que j’ai entamé la découverte du Dis Vin Secret, un champagne qui joue les équilibristes, alliant vinosité et fruité. Une cuvée qui débute sur un nez de fruits bien mûrs, voir compotés. Un nez intense, concentré, avec une touche acidulée. En bouche, derrière une attaque ample et fruitée, on retrouve des notes acidulées qui évoque la pomme granny. Une cuvée taillée pour la gastronomie, et dont la version Nature s’accordera à mon avis très bien sur une viande blanche.

C’est ensuite avec la cuvée Entre Ciel et Terre, que nous avons poursuivi. Ce champagne à l’étiquette reconnaissable entre mille, est celui qui a marqué le départ de la nouvelle orientation de la maison vers la biodynamie. C’est une cuvée droite et minérale, qui évolue sur une trame vineuse. Au nez, les premières notes jouent sur la fleur blanche, avant d’évoluer vers des notes plus gourmandes. En bouche, l’attaque est vive, puis le vin tapisse le palais sur des arômes de fleurs et une belle trame minérale. Un vin habile, qui jongle entre minéralité et vinosité.

2002 vs 2003

Ce pur moment de bonheur s’est poursuivi avec la dégustation de la cuvée L’Âme de la Terre, le millésime de la maison, que j’ai eu la chance de déguster à la fois dans le millésime actuel, le 2003, mais aussi dans sa prochaine itération, le millésime 2002.

Un champagne, dans son millésime 2003, qui se livre à travers un nez fruité, très gourmand, qui évolue même vers une touche épicée. En bouche, le vin est ample, puissant, vineux, très long et s’achève sur une légère note iodée.

Le millésime 2002 est lui plus élégant, plus ciselé, même si l’impression de puissance et la persistance en bouche restent. C’est une cuvée qui a trouvé un bel équilibre entre vivacité et rondeur. Un millésimé qui clairement possède un magnifique potentiel qui ne demande qu’à se développer quelques années en cave.

Sous liège, Comme Autrefois

La cuvée Comme Autrefois succède ensuite à L’Âme de la Terre, une cuvée élaborée à partir du millésime 1998, mais celui-ci n’a pas été revendiquée sur l’étiquette. C’est une cuvée élevée à 100% en fût de chêne et vieillie sous bouchon liège. C’est un vin riche, intense, complexe. Il s’ouvre sur un nez gourmand et complexe.

Avant de la déguster, Vincent avait carafé cette cuvée. En bouche, l’effervescence est très discrète, et vient seulement rafraichir avec beaucoup d’élégance le palais. Comme Autrefois se fait vin, vineux, puissant, complexe. Avec une finale qui s’étire paresseusement de longues et douces secondes.

Une deuxième dégustation de cette cuvée, sans carafage, m’est proposée. La différence est étonnante, subjugante presque. C’est un champagne plus vif, à la bulle plus présente qui s’offre au palais. Une bouche où la fraicheur est plus nette, plus tranchante aussi.

Une double dégustation riche d’enseignement et qui confirme la multiplicité des facettes d’un champagne en fonction de son instant et son mode de dégustation.

Une cuvée hommage

Enfin, la cuvée Robert Winer est venue conclure cette découverte de la gamme du champagne Françoise Bedel.

Ce champagne est à part parmi les cuvées de la maison. Il s’agit d’une cuvée millésimée 1996, qui s’est révélée être totalement exceptionnelle à la dégustation. Françoise Bedel a alors décidé d’en faire une cuvée hommage à un l’homme qui a inspiré et insufflé un virage dans sa vie, des changements qui se sont traduits au niveau du vin par ce passage en bio. C’est une cuvée qui existe dans un seul et unique millésime. Aucun autre n’est prévu, mais si une cuvée se révèle de nouveau exceptionnelle, la maison ne s’interdit pas de proposer de nouveau une cuvée Robert Winer dans un autre millésime.

La cuvée Robert Winer est un champagne qui s’ouvre sur un nez typique de son millésime, un nez généreux frais et mature, où la fraicheur est toujours présente. La bouche est à l’unisson, équilibrée entre puissance et fraicheur. Vinifiée en partie en fût et en partie en cuve, on retrouve cette dualité en bouche. La finale est magistrale, oscillant entre minéralité et vinosité.

Vincent m’a ensuite invité à venir faire un tour dans ses vignes. Une belle façon de conclure cette matinée.