Portrait de Cyril Brun

Quel est votre premier souvenir lié à la vigne et au vin ?

« Avec un grand-père vigneron et tonnelier, les souvenirs sont nombreux ! Petit, j’adorais écouter le bruit des bouteilles qui s’entrechoquaient et observer le ravissement des clients en train de déguster. A travers mes yeux d’enfant, je sentais déjà qu’il se passait quelque chose de magique.

De son côté, mon père m’a initié aux bonnes choses de la vie. Sur le marché, il me faisait respirer le parfum des fromages. A la maison, quand il cuisinait, il me faisait découvrir les textures et les saveurs. De temps en temps, quand il débouchait des bouteilles intéressantes, des grands Bordeaux ou des très vieux Champagnes, il me disait «goûte, tu n’en reboiras peut-être plus jamais

Quelle est votre plus grande fierté ? 

« Entendre mes enfants me dire qu’ils préfèrent les étoilés au KFC ! Leur transmettre l’amour du bon et l’élan pour la gastronomie était capital pour moi. »

Si vous n’aviez pas été Chef de caves, quel métier auriez-vous pu exercer ? 

« J’ai deux grands centres d’intérêt dans la vie en dehors des vins. La musique et la navigation à voile. En Champagne, la voile c’est compliqué…du coup, j’ai cherché à développer mon intelligence musicale, notamment à travers la musique classique et le jazz. Le vin et la musique partagent un langage commun, celui de l’émotion.

D’un point de vue technique, le Chef d’orchestre comme le Chef de Caves battent la mesure, transmettent leur vision de l’œuvre à leurs équipes et sont tous deux garants de l’harmonie. »

Par deux fois, vous avez été sacré « Best Wine Maker » par l’International Wine Challenge et vous venez d’être élu vigneron de l’année par le Guide Hachette 2022. Qui sont vos guides ou vos mentors ? 

« Mon parcours a été jalonné de rencontres particulièrement inspirantes. En début de carrière, j’ai effectué un stage au château Haut-Brion, le domaine viticole le plus réputé du vignoble des Graves. J’y ai rencontré son dirigeant M. Jean-Bernard Delmas. Un personnage d’une rare sévérité. Sa voix caverneuse et la sensation d’assurance qu’il dégageait m’impressionnaient. Je lui ai demandé comment il avait fait pour en arriver là. Il m’a répondu qu’il avait travaillé comme un fou pour repousser les limites de l’excellence.

Jacques Peters, que j’ai rencontré chez Veuve Clicquot, m’a également beaucoup marqué. Il a apporté une dimension extraordinaire au rôle de Chef de Caves. Il a été un homme-orchestre : œnologue, directeur des vignes et du vin, designer, créateur, nez, gardien du temple et ce pendant près de 40 ans.

Vous l’aurez compris, la valeur travail et le sens de l’engagement sont essentiels pour moi. J’aime les caractères besogneux au sens noble du terme, l’humilité et remise en question permanente. Ça me rappelle d’ailleurs une phrase de Michel Petrucciani, un pianiste de jazz éblouissant : « Je ne crois pas au génie, seulement au dur travail. » 

Quelle relation entrenez-vous avec le vin de Champagne ?

« Tout dépend à qui vous vous adressez ! En tant que professionnel, je suis porté par la symbolique du mot « Champagne » que je chercherai toujours à honorer. En ce sens, je fais preuve d’une exigence poussée à l’extrême. Je m’inscris dans le « zéro compromis » et cela frôle parfois la tyrannie (rires).

En tant qu’homme, j’entretiens un lien émotionnel très fort avec ce vin. En dégustation, je suis très attentif à la communication non verbale. J’aime les réflexions silencieuses. Pour moi, cela signifie que la personne qui déguste se laisse envahir par la dimension sensorielle du Champagne. Entre le vin et l’Homme s’amorce un dialogue naturel…A contrario, entendre des banalités comme « ce vin est bon » m’apporte beaucoup moins de satisfaction. Aujourd’hui, tous les Champagnes sont bons. »

 

« Admirer les mouvements du vin dans un verre c’est comme se laisser porter par une valse à trois temps »

Cyril Brun

Quel est votre accord mets/vin le plus mémorable ? 

« Un magnum de l’année 1955 de la Maison Veuve Clicquot sur une Pastilla de pigeon au foie gras. Ce jour-là, nous avions une vue époustouflante sur les vignes au coucher du soleil. Un moment d’une rare émotion qui vous fait perdre la notion du temps et vous offre un sentiment de plénitude. Tout était parfait : le lieu, le vin et les convives. Seule la musique manquait 😉 »

La maison

Pavillon de Charles Heidsieck

Chez Charles Heidsieck, le temps est le 4ème cépage. Qu’est-ce que cela signifie ?

« Que le temps passé en cave est tout aussi important que les cépages. Chez Champagne Charly, le temps est un allié qui permet d’amener de la patine et de la profondeur aux vins. Quel que soit le niveau de détail ou la sophistication de l’assemblage, un vin n’exprimera rien sans un vieillissement optimal. Voilà pourquoi, nous laissons le temps à nos bouteilles de parfaire leur maturation en cave au minimum quatre ans, parfois plus de quarante. »

Quelle est la particularité de la Maison Charles Heidsieck ?

« Depuis toujours, la Maison entretient une histoire d’amour avec le Chardonnay.  Le Blanc des Millénaires 2006 offre une vision unique des grands Chardonnays de la Côte de Blancs. Seuls 6 millésimes ont d’ailleurs vu le jour sous ce nom.

En 2019, nous avons souhaité poursuivre dans cette voie en donnant naissance à 4 coteaux champenois blancs disponibles en édition limitée. Les terroirs d’Oger, Villers-Marmery, Vertus et Montgueux permettent de percevoir toute l’amplitude aromatique et la diversité du Chardonnay. »

Qu’est-ce que la crise sanitaire a changé à votre métier ?

« Elle a fait naître un Cyril Brun version 2.0, c’était d’une grande nécessité ! Cela m’a permis de communiquer avec de nouvelles cibles et de créer des liens avec des gens qui se trouvaient à l’autre bout du monde. A travers un écran, j’ai découvert que la relation pouvait être plus décomplexée et plus spontanée.

Par contre, percevoir l’émotion à travers une webcam n’est pas aisé. La crise sanitaire a accéléré la transformation digitale des entreprises et permis l’émergence de formats hybrides. Partir au Japon sur deux jours pour assister à un dîner ne fait peut-être désormais plus sens. »

Où emmèneriez-vous les Charlies’ friends pour aller boire un verre ?

« Je les emmènerai sur les hauteurs du village de Bouzy. Là-bas, ils seront au carrefour de toutes les zones viticoles de la Champagne. Le vignoble d’automne offre une mosaïque de couleurs qui pour moi symbolise toutes les nuances et les subtilités d’un vin de Champagne. 

Pour illustrer cette diversité et cette richesse sur le plan gustatif, je leur ferai déguster notre Brut Réserve non millésimé. Ce vin est un challenge permanent pour tous Chefs de Caves. Il met tout à nu : l’identité, l’âme, le style et les choix œnologiques de la Maison… »

Cuvee brut reserve non millesime de Charles Heidsieck

« Au-delà de sa technique phénoménale et de sa clairvoyance, c’est peut-être aussi ça la clé du succès de Cyril Brun : un lyrisme généreux. Cheers ! »