Inexorablement, le réchauffement climatique dû aux activités anthropiques augmente de 0,2 °C par décennie et pourrait même atteindre +7°C d’ici 2100. Premier impacté : le patrimoine viticole. Face à cette urgence climatique, la Champagne doit accélérer sa transition agro-écologique et envisager un nouveau modèle de viticulture tout en préservant au maximum son ADN. Pour répondre à ce défi, l’AOC expérimente actuellement deux nouveaux outils : les vignes semi-larges et l’agroforesterie, une pratique qui vise à replacer la vigne au cœur d’un écosystème. En quoi cela consiste-t-il ? L’agroforesterie peut-elle s’imposer durablement en République des Bulles ? Enquête.

#1 – Qu’est ce que l’agroforesterie ?

Crédit photo : Domaine Emile Grelier

L’agroforesterie, ça date de quand ?

Ce mode d’exploitation des terres trouve ses origines dans l’Antiquité et finit par tomber en désuétude à partir des années 50. Autrefois, comme le souligne Delphine Vinet[1] consultante en agroforesterie, le vigneron, comme l’agriculteur, composaient avec le vivant. Mais avec l’apparition de la pétrochimie, censée faciliter le travail et sécuriser les récoltes, les fondamentaux agronomiques, comme le bon sens paysan et la biodiversité ont fini par s’estomper.

L’agroforesterie, c’est quoi ?

L’agroforesterie, c’est l’art de semer des couverts végétaux et de planter des arbres dans les vignes et autour des parcelles pour permettre à la biodiversité de faire son grand retour. 

L’agroforesterie, c’est donc la viticulture du vivant. Une pratique qui invite à changer de perception : fonctionner avec la Nature et non contre elle, ne plus voir les végétaux comme des concurrents mais des coéquipiers.

Un sol avec une forte activité biologique donnera toujours du raisin plus qualitatif qu’un sol sous perfusion chimique, plutôt logique non ?

L’agroforesterie, à quoi ça sert ?

L’agroforesterie en viticulture répond à des sujets multiples. A l’échelle du paysage, elle permet de stabiliser les pentes, protéger les sols de l’érosion, freiner les mouvements d’eau, diminuer les effets des inondations, ralentir la vitesse du vent, protéger les habitations, procurer de l’ombre aux animaux d’élevage, améliorer le sol et ses fonctionnalités.

« L’agroforesterie est une pratique plus puissante qu’internet en terme de connexion » aime à rappeler Alain Canet, agronome et agroforestier de renom

A l’échelle de la parcelle, les arbres régulent, protègent, abritent, produisent et créent de véritables microclimats. Lorsqu’ils sont conduits en trogne, ces arbres sont de véritables réservoirs de biodiversité qui servent d’hôtels à insectes, de nichoirs à oiseaux, de cabanes à hérisson ou encore de gîtes à chauve-souris. Ces mammifères, capables d’ingurgiter 3 000 insectes par nuit par individu, vont naturellement venir concurrencer certains ravageurs nocturnes qui pondent sur les baies de raisins. Les dynamiques naturelles se recréent.

De son côté, l’enherbement limite l’érosion des sols mais aussi les transferts d’éléments traces métalliques provoqués par les pluies.
Pour résumer, l’arbre et le couvert végétal sont donc des outils de production, de séquestration du carbone et des maillons essentiels de la durabilité et de la performance des écosystèmes agricoles.

#2 – L’agroforesterie, quel accueil en Champagne ?

Si planter des arbres et des haies dans un domaine viticole est loin d’être nouveau, planter des arbres au cœur des parcelles est plutôt récent en Champagne. L’agroforesterie en viticulture reste encore une pratique assez marginale mais il semblerait que l’idée commence à faire son chemin dans l’esprit des Champenois.

En témoigne, l’association Arbres et Paysages en Champagne qui regroupe une cinquantaine d’hommes et de femmes. Tous sont passionnés d’agroforesterie et toujours enclins à partager le fruit de leur expérience à travers des ateliers, des rencontres et des formations.

Cyril Bonnet dans une de ses parcelles à Chamery, où il pratique l’agroforesterie

Un peu partout, aux 4 coins du vignoble, on commence à voir les initiatives émerger. A Pouillon, Vincent Cuillier, fait pousser des tilleuls dans ses vignes. A Reuves, la Maison de Champagne Valérie & Gaël Dupont est incarnée par un duo de vignerons engagés qui organise des portes ouvertes sur les bénéfices de la viticulture agroécologique. A Fossoy, Benoît Déhu, vigneron en biodynamie aplanté plus de 350 arbres dans son domaine, des fruitiers comme des feuillus. Dans l’Aube, aux Riceys, Florent Grados, a semé des féveroles, du seigle, des trèfles raboteux et du trèfle blanc nain dans son vignoble pour recréer une couverture isotherme à l’intérieur de ses parcelles.

Du côté des Maisons, Ruinart, dont le vignoble est labellisé HVE depuis 2014, a révélé il y a quelques jours, mener un projet pilote de vitiforesterie. Elle prévoit notamment la plantation de 14.000 arbres et arbustes sur son domaine de Taissy. Selon Frédéric Dufour, Président de la Maison, il est urgent de multiplier les actions pour promouvoir la biodiversité et lutter contre le changement climatique en Champagne. Ce projet est l’une des solutions les plus accessibles et efficaces.

L’agroforesterie, quels inconvénients ?

Le manque de recul. Des études comparatives sont toujours en cours. Les indicateurs aideront à mesurer l’efficacité et la performance de cette pratique dans le temps.

En termes de coût, cette culture intercalaire va nécessiter davantage de main d’œuvre et d’investissement, notamment dans des équipements adaptés. Certains engins devront en effet être remplacés par des outils électroportatifs pour travailler et entretenir les parcelles. Mais pour les adeptes de l’agroforesterie, des arbres bien plantés, dans de bonnes conditions, à la bonne densité et bien gérés tout au long de l’année compensent les inconvénients tels que l’ombre préjudiciable au développement des cultures ou concurrence pour la ressource en eau…

Avec le retour de la biodiversité, des couleurs, des odeurs et des sons, il n’est pas exclu que les saisonniers retrouvent un certain plaisir à travailler le vignoble. Peut-être cela aidera-t-il à pallier à la pénurie de main d’œuvre ?

Au delà de l’agroforesterie

A ce jour,aucune contre-indication à la pratique de l’agroforesterie dans le vignoble par les instances champenoises n’a été relevé. qu’est ce qui pourrait alors empêcher le mouvement de prendre de l’ampleur ? Peut-être la peur du changement et de l’inconnu ? Peur de devoir quitter le confort d’une monoculture intensive où la nature est exploitée ? Peur de faire confiance au génie de la Nature ?

En tous cas, chez Plus de bulles, nous sommes convaincus d’une chose : chacun peut agir à sa mesure. Alors faisons du « mieux produire » l’avenir. Cheers !

Sources :

[1] A Lapouyade (Gironde), Delphine et Benoit Vinet (Domaine Emile Grelier) ont converti leur 8 ha de vignes à l’agroforesterie.